Table ronde de la conférence "L'infrastructure au service du véhicule du futur"

mai 2015
Événements IDRRIM

L'IDRRIM vous propose de redécouvrir les échanges de la table ronde "Constructeurs automobiles et gestionnaires d'infrastructures : comment relever ensemble ces défis ?", organisée dans le cadre de la conférence "L'infrastructure au service du véhicule du futur" du 28 mai 2015.

Participaient à la table ronde :

  • Yves KRATTINGER, Président du Conseil départemental de la Haute-Saône, Président de l'IDRRIM
  • Jean BERGOUNIOUX, Délégué général d'ATEC-ITS France
  • Pierre CHASSERAY, Délégué Général de l'association 40 Millions d'automobilistes
  • Jacques EHRLICH, Directeur de recherce émérite, Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (IFSTTAR)
  • Patrick RAMBALDI, Responsable "Business développement monde" au sein de la BU "Véhicules et services connectés" de PSA
  • Jacques TAVERNIER, Président de l'Union des Syndicats de l'Industrie Routière Française (USIRF)

Débats animés par Marc TASSONE, Directeur Général de l'IDRRIM.

Quel sera le véhicule de demain ? Quel intérêt pour l'usager ?

Patrick RAMBALDI : Je travaille au sein de la BU "Véhicules et services connectés" de PSA, chargée d'améliorer la rentabilité économique de PSA et de renforcer son positionnement stratégique. Je travaille donc sur des solutions nouvelles qui sortent de la direction de la recherche et qui peuvent être commercialisées, tel que le projet SCOOP qui vient de nous être présenté.

Le véhicule connecté n'est pas de la science-fiction, il suffit d'aller aux Etats-Unis voir le véhicule autonome pour s'en rendre compte. C'est extrêmement compliqué car le concurrent n'est plus l'autre constructeur automobile, mais tous ces acteurs qui veulent accéder aux données, contrôler la mobilité. Nous avons effectivement beaucoup de projets, PSA a toujours été très actif dans le domaine puisqu'il a été pionnier dans le lancement de l'appel d'urgence.

Les véhicules auront différents degrés d'automatisation. Ils vont d'abord anticiper les ralentissements, agir sur le frein, aide au redressement... La vitesse de déploiement des solutions technologiques et leur interaction avec les infrastructures, les gestionnaires et les autres constructeurs dépendront en partie des ambitions et du modèle économique du constructeur qui va se positionner sur ce marché.

Les clients se montrent intéressés notamment en termes de sécurité, mais j'y mets deux bémols. D'une part il s'agit d'une réponse naturelle dans le cadre d'un sondage, mais le comportement est différent à l'achat. D'autre part, la sécurité est un dû pour le conducteur et ce dernier n'a pas envie de payer pour plus de sécurité.

Quels services supplémentaires sont susceptibles d'intéresser les gestionnaires ?

Patrick RAMBALDI : On a déjà un million de voitures équipées en Europe qui peuvent faire remonter des informations. On a d'ailleurs monté un partenariat avec un grand nom de l'informatique, IBM, pour approcher certaines collectivités, certains gestionnaires d'infrastructures pour justement amener des services en utilisant les données de positionnement récurrentes remontant de ces véhicules. Cela peut permettre de développer une intelligence sur le bon positionnement d'un coupe-vitesse, sur un carrefour qui déclenche beaucoup d'ABS... On peut aujourd'hui commencer à développer ces services d'un point de vue commercial.
Au-delà de ça, il n'est pas question de mettre en place sur tous les véhicules un capteur spécifique pour détecter les nids de poule par exemple. Les constructeurs ne prendront pas le risque économique d'équiper tous les véhicules de ce type d'appareil, alors qu'il suffit aux gestionnaires d'intégrer le capteur sur quelques véhicules traceurs.

Jacques TAVERNIER : Je suis un peu déçu de la réponse... Dans mes rêves les plus fous, j'imaginais un véhicule détecteur de fissurations, de nids-de-poule. Je comprends donc que c'est possible mais qu'il faut qu'on se les paie !

Patrick RAMBALDI : Il existe aujourd'hui de plus en plus de fonctions mais la rentabilité du constructeur reste une réalité. Le véhicule autonome, c'est-à-dire sans volant, peut prendre différentes formes à travers : des radars qui détectent les lignes blanches, les flux des autres véhicules, etc ; ou des solutions basées sur de la cartographie extrêmement précise, au centimètre. Ces différentes pistes ont toutes leurs avantages et leurs inconvénients.

Les propriétaires de systèmes GPS qui s'occupent de cartographie pourraient-ils intégrer leurs données dans les systèmes embarqués ?

Jacques EHRLICH : Qu'il s'agisse de capteurs ou de systèmes de cartographies, il n'y a pas de révolution mais des évolutions. Voici les trois fonctions-clé du véhicule de demain : détecter (les véhicules voisins, les obstacles, les limites de la route, les dégradations de la chaussées, la congestion...), localiser et guider.

Je pense que nous aurons encore besoin, pendant longtemps, du marquage au sol. On peut faire des cartes très précises mais il faut positionner le véhicule de façon très précise. Aujourd'hui, le système de positionnement est macroscopique (le GPS, de l'ordre du mètre) et nous ne sommes pas capables de faire du positionnement centimétrique du véhicule (microscopique via un capteur de perception) en utilisant autre chose que des systèmes qui détectent des repères sur la route.

Le véhicule autonome est-il un rêve pour l'usager ? Quelles sont ses attentes ?

Pierre CHASSERAY : Le véhicule autonome me fait penser au voyage dans l'espace. Cela faisait fantasmer tout le monde, mais une fois que l'on y est arrivé c'est devenu d'une banalité affreuse.
Pour l'instant, le véhicule autonome fait un peu rêver. Je l'ai testé à titre personnel pour une marque, et cette voiture se basait sur le seul moyen existant de se déplacer et de se repérer, c'est-à-dire les bandes blanches. Or, dans un virage, en entrée de périphérique parisien, la voiture n'a pas vu le marquage au sol car il était mal entretenu. Elle est partie tout droit, s'encastrer dans la glissière ! Donc le véhicule autonome a besoin d'un billard, d'une pelouse digne d'un green de golf pour circuler avec des marquages au sol parfait.Or, aujourd'hui nos routes ressemblent davantage à un minigolf d'auberge de jeunesse des années 1980 qui n'a pas été remis à niveau... On n'investit rien sur les routes et on rêve du véhicule autonome ! Lorsque je vois que cette voiture est commercialisée mais que les pouvoirs publics ne veulent plus investir sur les routes, il y a une vraie antinomie entre nos rêves et les moyens que l'on se donne pour y accéder.

Jean BERGOUNIOUX : Les transports intelligents et le véhicule autonome concernent des métiers et des acteurs très différents, il s'agit d'un enjeu pluridisciplinaire et transverse. Là, nous parlons de routes et de véhicules particuliers, mais cela concerne aussi les transports collectifs. Peut-être que dans l'avenir nous n'aurons plus de véhicules particuliers ou collectifs, mais des véhicules banalisés, le covoiturage aidant. Or les modèles économiques ne sont plus du tout les mêmes.
Simple simulation : si on a 20% du parc équipé de véhicules automatisés sur une fonction en 2040, la probabilité de communiquer entre eux est de 4%. Si l'infrastructure communique aussi, cette probabilité sera de 20% donc nettement supérieure !

En 2020, combien compterons-nous de véhicules autonomes ?

Patrick RAMBALDI : Très peu, mais il y a différents degrés d'automatisation. En 2030, la majorité des constructeurs vendront des véhicules capables de s'arrêter et redémarrer dans un bouchon.

Comment un gestionnaire d'infrastructures appréhende l'arbitrage entre l'investissement nécessaire au développement du véhicule autonome et l'entretien du revêtement ?

Yves KRATTINGER : Les ITS sont un domaine économique qui est en train d'exploser et les français sont très bien positionnés. Lors d'un précédent débat sur les ITS, je vous avais indiqué qu'il fallait aller ensemble vers 1000 kilomètres d'autoroutes branchées. Le concept ne prendra son essor qu'à partir du moment où on aura une famille de véhicules et un type d'infrastructure élaborés. Il faut passer par ce stade-là. On ne pas passer d'un coup au modèle du tout autonome. Il faut des études sérieuses sur la capacité d'écoulement. Je reste sceptique sur des expérimentations ici ou là, en Isère, en Bretagne...
En tant que Président de Conseil départemental, je vous confirme que nous mettons de l'argent sur nos routes. Ce que l'on a freiné c'est l'investissement. On construit en effet moins de déviations, moins de rectifications majeures, mais on ne peut pas nier qu'il y a moins de besoins. La France n'est pas aujourd'hui le champion du monde des nids-de-poule ! Il y a un risque certes, mais la situation est beaucoup plus grave ailleurs, en Allemagne et au Royaume-Uni.
Innover c'est prendre des risques. Aujourd'hui, dès qu'il y a un accident, celui qui conduit n'est pas responsable : le responsable c'est le constructeur ou le gestionnaire de la route ! Nous devons parvenir à encadrer l'expérimentation dans les territoires pour ne pas que l'innovation devienne un risque pénal pour le Président de département. Le progrès ne s'arrête pas, il est en route en permanence.

Pierre CHASSERAY : Nous sommes 40 millions de conducteurs à penser que nous conduisons mieux que les autres. Or, la convention de Genève est claire : en cas d'accident, c'est bien l'automobiliste qui est responsable.

Jacques EHRLICH : Au LIVIC, nous avions développé un concept intéressant qui est "l'itinéraire sécurisé". Un véhicule autonome ne pourra pas rouler partout et sur tout type de route, mais uniquement sur des routes présentant un certain niveau de qualité de service : la qualité des marquages (via l'introduction d'autres moyens de guidage) et la capacité de la route à se décrire au véhicule. Il faut en effet que le véhicule ait une très bonne connaissance de ce qu'est la route (géométrie, courbure, dévers, adhérence....). Ces attributs peuvent être intégrés dans les cartes, c'est que nous avons appelé "l'itinéraire sécurisé", sur lequel le véhicule autonome pourra dire au conducteur "je peux circuler de manière autonome et non plus manuelle".

Question de Philippe REDOULEZ, Directeur d'ATMB : Je tiens à souligner le risque dans les tunnels de choc frontal avec les poids lourds. Quelle place est accordée aux poids lourds dans ce système de transports intelligents, d'autant que le renouvellement de la flotte est très rapide ?

Patrick RAMBALDI : En effet, le renouvellement de la flotte est très rapide et les poids lourds présentent une rentabilité très rapide. Equiper les poids lourds avec des capteurs et des systèmes embarqués innovants est donc une piste intéressante.

L'état des infrastructures permet-il de répondre à ces besoins ?

Jacques TAVERNIER : Le risque de décrochement en France est réel compte tenu du sous-investissement dans les déviations mais aussi dans l'entretien. Or, les attentes premières du véhicule autonome sont bien de circuler sur des routes en bon état.

Patrick RAMBALDI : Tous les constructeurs automobiles ne basent pas leurs solutions sur les lignes blanches. La question à se poser dans des projets comme SCOOP c'est à quelle vitesse on sera capables de déployer quelque chose de standardisé sur des milliers de km.

Comment gérer demain, en toute sécurité, une flotte automobile hétérogène et à quel coût ?

Patrick RAMBALDI : Tout dépend du constructeur, la pression n'est pas la même en Allemagne qu'en France. Il y a effectivement un surcoût que nous devrons, en partie, prendre en charge, en termes d'images notamment.
Par exemple, lorsque PSA a lancé l'appel d'urgence en Europe, la commission ne pouvait pas normaliser en allant à l'encontre de ce qu'on avait déjà déployé. Il en ira de même pour le véhicule autonome, nous avons déjà des solutions.

La sécurité routière est-elle un argument d'achat pour l'usager vis-à-vis du véhicule autonome ?

Pierre CHASSERAY : On est revenu du modèle de la voiture low cost avec un niveau d'option très bas : aujourd'hui toutes les options de base ont été réintégrées. Aujourd'hui, l'usager ne peut plus se passer de sécurité, mais il n'est pas prêt à mettre plus d'argent. Il veut retrouver ces évolutions dans son véhicule.

On a beau nous dire que la voiture et la conduite ne font plus rêver, regardez les rayons jouets à Noël ! Bien sûr que les français aiment conduire, mais ils n'aiment pas les bouchons. Le véhicule autonome amènera énormément en termes de sécurité, mais jusqu'à quel point l'automobiliste est prêt à aller ? Il attend beaucoup en termes de sécurité mais il n'est pas prêt à abandonner son volant.

Yves KRATTINGER : Tant que le nombre de véhicules autonomes sera limité, la question juridique ne sera pas vraiment posée. Cela n'empêche pas aujourd'hui les développements, mais les gestionnaires se couvriront car ils ne sont pas complètement rassurés. Mais soyons optimistes !

Patrick RAMBALDI : Au-delà des questions techniques et économiques, il y a deux freins au lancement commercial :

  • le frein à l'image pour le constructeur
  • le frein juridique : certains se lanceraient plus vite si la question de la responsabilité était réglée.

Jacques EHRLICH : Ces questions de responsabilités s'amenuiseront au fur et à mesure que nous prendrons confiance dans ces nouveaux systèmes et qu'ils gagneront en fiabilité. Il faut travailler énormément sur ces questions de niveaux de fiabilité et sur le niveau de service que pourra accorder l'infrastructure.

Jacques TAVERNIER : Jacques EHRLICH parlait tout à l'heure d'"itinéraire sécurisé". Celui-ci passe par un bon état de la chaussée, une bonne adhérence et de bons équipements.
Le vrai sujet concerne aussi la gestion de ces données : à qui appartiendront-elles ? Quel en sera l'usage ? Il y a là un rôle à jouer de la part des gestionnaires de ce point de vue-la.

Pierre CHASSERAY : Nous voyons que les constructeurs ont besoin de routes en bon état. Nous voyons aussi que ceux qui font des routes rêvent de voitures innovantes pour améliorer la sécurité routière. Et dans la voiture, il y a l'automobiliste qui veut des routes en bon état et des voitures innovantes. On est donc sur la même voie ! Il faut faire avancer ensemble les choses dans le bon sens.

Jean BERGOUNIOUX : La France est leader dans la construction d'automobiles et d'infrastructures : nous disposons de toutes les clés pour proposer à l'usager les solutions les plus efficaces et les plus modernes, nous avons toutes les qualités pour être les champions à l'export. Malgré cette avance, les résultats sont un peu décevants, les parts de marché s'amenuisent à l'export. Les instituts comme Vedecom et Efficacity sont là pour aider mais il faut savoir valoriser et porter ces solutions R&D afin de défendre des positions communes, en termes de normalisation notamment. L'ingénierie a besoin de référentiels, de règlementation au niveau national.
L'IDRRIM a sans doute un rôle à jouer pour aider à trouver les outils de sécurisation juridique des milliers de kilomètres en expérimentation.

Patrick RAMBALDI : Je pense qu'il faut retenir de ces échanges que le conducteur continue à aimer prendre le volant, que le constructeur doit trouver sa rentabilité et financer sa R&D et que le gestionnaire y trouve des solutions. Il y a donc un modèle économique optimal à rechercher, qui nécessite du temps et des échanges. Mais qui contrôlera les data, les échanges ? Ces questions doivent être posées.

Marc TASSONE : En conclusion, cette table ronde démontre qu'il y a un vrai besoin d'échanges entre les acteurs des infrastructures, du secteur automobile et des usagers. Je remercie tous les intervenants, qui ont permis de faire avancer le débat. L'IDRRIM remplit ici son rôle, en fédérant tous ces acteurs (gestionnaires, chercheurs, entreprises...) et en y associant les constructeurs et les usagers. Il y a un rapprochement à trouver, et faire dialoguer tous ces acteurs est notre mission.

Photos : IDRRIM